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Billets d’absence I - Jean-Jacques Nuel

mardi 9 septembre 2014

BILLETS D’ABSENCE

I

SÉPARATION DE CORPS
Un matin, Jean-Jacques se réveilla dans les deux lits jumeaux à la fois. Le trait d’union de son prénom avait glissé entre les deux matelas ; il devait se trouver sur le parquet, parmi les moutons de poussière, et sa taille minuscule comme sa couleur gris foncé ne faciliteraient pas les recherches. Profitant de cet incident, Jean et Jacques avaient pris leur indépendance et, après une petite virée nocturne, chacun de son côté, dans les quartiers malfamés de la ville, étaient revenus se coucher dans les deux lits séparés. Maintenant qu’ils avaient goûté à la liberté, ils auraient du mal à reprendre leur existence de frères siamois.
*

UN AUXILIAIRE DES SERVICES DE POLICE
Tout au long de l’enquête criminelle, l’assassin tenta désespérément d’aider l’inspecteur Colombin à démasquer le coupable. Depuis le début, il avait facilité la tâche des services de police en laissant sur la scène de crime ses empreintes digitales, son ADN et quelques objets personnels, dont sa propre carte d’identité infalsifiable ; il ne pouvait justifier du moindre alibi, et il avait de sérieux mobiles pour ce meurtre. Chaque jour, retrouvant le policier, il lui apportait un nouvel indice, une nouvelle preuve qu’il expliquait avec un vrai sens de la pédagogie. Peine perdue, l’enquêteur particulièrement obtus repartait sans cesse sur de nouvelles et fausses pistes. « N’oubliez pas que je reste le principal suspect dans cette affaire », répétait l’assassin, mais Colombin répondait invariablement : « Non, vous êtes un coupable trop évident. Ce serait trop facile. »

UN JEU DE SOCIÉTÉ
On nous avait remis un nouveau jeu, composé seulement de vingt-six cartes. Chacune d’elles portait la figure d’une lettre de l’alphabet, de A à Z, et avait une valeur comprise entre un et dix. Ainsi, un K ou un W valaient dix points, tandis qu’un E ou un A ne comptaient que pour un point. Il était bien rare qu’un joueur avec une faible donne puisse passer les éliminatoires et disputer le grand tournoi, doté de prix en espèces très élevés, mais ces cas exceptionnels étaient montés en épingle par la direction du casino pour nous faire croire que tout le monde avait sa chance dans la vie, quelles que soient les cartes tirées à la naissance.

Jean-Jacques Nuel

(À suivre.)

Passage d’encres III - n° 1 - 3e trim. 2014 - issn en attente.