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Billets d’absence II - Jean-Jacques Nuel

samedi 22 novembre 2014

BILLETS D’ABSENCE

II

VOL AVEC TRANSFERT
Impossible de s’y retrouver, la signalisation était incomplète et contradictoire. Nous remontions des kilomètres de couloirs, empruntions de vastes ascenseurs, repassant aux mêmes endroits, sans jamais parvenir à la porte d’embarquement K17. D’autres passagers désemparés nous demandaient leur chemin, et nous étions incapables de leur répondre ; certains renonçaient et s’asseyaient à même le sol, la tête entre les bras, pleurant doucement. Si la traversée de la moitié du globe en avion n’avait présenté aucune difficulté, le passage du terminal 1 au terminal 2 de cet aéroport s’avérait une épreuve interminable et peut-être insurmontable.
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LA CONNAISSANCE
À l’heure qu’il est, nous ne savons plus exactement où nous sommes. Et si nous le savions de manière précise, nous perdrions aussitôt la notion de l’heure. C’est l’un ou l’autre, l’espace ou le temps, il faut choisir, voilà ce que l’on nous répète à longueur de journée. N’est-ce pas déjà beaucoup, et merveilleux, de pouvoir situer un lieu par sa longitude et sa latitude, ou de connaître l’heure jusqu’au détail extrême de sa seconde ? Que demander de plus ? Il me semble pourtant me souvenir – mais cela remonte à mon enfance et je suis maintenant bien vieux – que je pouvais à cette époque lointaine avoir la conscience des deux cadres, spatial et temporel, de façon simultanée, et que tous les gens qui m’entouraient avaient un don similaire. Mais on me dit que j’ai dû rêver, ou que je deviens gâteux, car c’est tout simplement impossible : un être humain, m’explique-t-on pour la centième fois, qui connaîtrait sa double position dans l’espace et le temps serait l’égal de Dieu.
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CARNET DU JOUR
Les locaux du quotidien Les Dernières Nouvelles de la Corrèze bruissaient d’activité comme une ruche. Du matin au soir, les crépitements des machines à écrire et des télex couvraient les fiévreux appels téléphoniques et les hurlements du rédacteur en chef. Le jour où tomba la nouvelle de la mort de l’écrivain local – auteur de sept ouvrages régionalistes et d’une monographie sur la ville de Tulle -, on ne retrouva plus le projet de notice nécrologique préparé par le stagiaire quelques semaines auparavant, et tous les journalistes de la rédaction étaient trop occupés par la venue du ministre de l’agriculture au chef-lieu du département pour avoir le temps de la rédiger.
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LES DANGERS DE LA NAVIGATION DE NUIT
La ligne de flottaison du rêve était si basse que le dormeur risquait à tout moment, s’il se retournait trop fort dans son lit, de sombrer. [...]

Jean-Jacques Nuel

Passage d’encres III - n° 2 - 4e trimestre 2014 - issn en attente.