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Locarno 2015 : The Ground We Won (Christopher Pryor et Miriam Smith)

vendredi 21 août 2015
68e Festival du film, Locarno
« THE GROUND WE WON »
(Christopher Pryor et Miriam Smith)
Présentant The Ground we won1, un des sept longs métrages en compétition de la sélection de la « semaine de la critique » durant le Festival de Locarno, documentaire extrêmement attachant et vibrant d’une énergie communicative, Christopher Pryor2 n’a dit que ces quelques mots : « Je ne connais pas les règles du rugby, vous n’avez pas non plus besoin de les connaître pour apprécier ce film. »
Le message est clair. Le sens est donc ailleurs. Dans le hors-jeu ? De quoi s’agit-il exactement ?
Le film relate les moments de la vie d’un groupe de jeunes hommes dans la fleur de l’âge, fermiers de leur état, qui défendent chaque week-end les couleurs de leur équipe au cours de matchs de rugby. En Nouvelle-Zélande, ce sport n’est pas seulement une institution, il est également « une obsession nationale ».
Or ici ce que nous pouvons voir ce sont des attitudes comportementales de ces jeunes joueurs non seulement sur le terrain, mais aussi dans la vie. Coule t-il en eux, le sang des Maoris ? Sont-ils dotés du mana, propre à cette culture3 ? Le film le laisse à penser.
Pour se préparer au combat, les joueurs exécutent, tels des guerriers, une sorte de ballet tribal dans lequel se mêlent accolades, cris presque féroces : reliquat des combattants ancestraux dont-ils descendent ? Les sauts : des invocations à leurs forces originelles ? Sur le terrain ils seront fair-play. Dès leur enfance les règles de bonne conduite leur ont été inculquées. Pas de crocs-en-jambe, pas de coups bas. Le jeu est fraternel, propre bien mené et ce, dans un moment difficile car l’équipe a été déficiante lors des derniers matchs disputés. Ces hommes doivent relever le défi, ce qui sera fait.
Le titre est lourd de sens. Il s’agit de reprendre le terrain, pied par pied, pouce par pouce, ici et ailleurs. Ailleurs , le titre implique t-il le combat que les paysans doivent mener pour garder leurs terres, menacées par les grands propriétaires, éviter l’exil vers les villes ? Evoque-t-il le combat que les Maoris4 ont dû mener pour garder leurs droits5 ?
The Ground We Won résonne comme un coup de tonnerre... Nous, nous contentons d’y voir les merveilleux échanges entre des êtres humains chaleureux, attentifs aux autres, veillant aussi bien sur leurs petits que sur leurs vaches, les aidant sans cesse à mettre leurs veaux au monde.
Quand la caméra quitte très momentanément les joueurs, elle nous balade dans des paysages telles des encres chinoises, stupéfiants de beauté, caressant avec amour la terre de ses brumes... La caméra revient alors vers l’un des protagonistes du groupe, cette fois filmant non le rugbyman, mais le fermier qui vient de mettre un veau au monde. Assis sur le flanc de sa vache encore allongée, l’homme fait une pause et prend le temps de la réflexion. On dirait Zeus. Mais un Zeus bien narquois, sceptique et détaché, se demandant peut-être où va le monde.
Sylvie Reymond-Lépine
Locarno-Magadino, 18-19-20 août 2015
NOTES
1. [« Le Terrain que nous avons conquis »,] film en noir et blanc, du réalisateur new-zélandais Christopher Pryor, 2015.
2. Christopher Pryor a déjà réalisé plusieurs autres documentaires : Kai Kohe Demolition (2004) ; Rubbings from a Live Man (2008) ; Land of a the Long White Cloud (2009) ; Assume Nothing (2009) ; How Far Is Heave (2012).
3. Dans la culture maorie, chaque individu est doté d’un mana, c’est-à-dire qu’il détient les valeurs de loyauté, de solidarité. Ces valeurs comptent davantage que les hiérarchies de rang ou de forme.
4. Maori : être humain, peuple de la Terre.
5. Depuis les années 1960, les Maoris vivent une renaissance culturelle. En 2004, création du Maori Party. Des écoles en langue maorie sont alors crées.