Accueil > Passage d’encres III, revue en ligne > 7. Stendhal. Rome, - Christiane Tricoit
7. Stendhal. Rome, - Christiane Tricoit
mercredi 10 février 2016
7. Passage d’encres III - 1er trimestre 2016.
STENDHAL. ROME,
Stendhal. Rome, Naples, et Florence. Il faisait très chaud dans la chambre. Je poursuivis ma lecture pendant encore quelques minutes, mais, n’en pouvant plus, je me levai pour ouvrir la fenêtre et respirer un peu. C’est alors que je vis l’homme. Taille et âge moyens, cheveux courts, clairs et bouclés, tee-shirt et pantalon noir, tennis aux pieds. Sa démarche était souple comme s’il effleurait le sol, genoux légèrement pliés. Il passait juste sous ma fenêtre comme je m’y penchai. L’homme portait un seau à la main droite, un long rouleau de papier et une brosse à la main gauche. Il avait l’air pressé comme tous les colleurs d’affiches qui ne veulent pas être surpris. Mais celui-là semblait venir de loin. Je regardai l’heure : deux heures du matin. Je ne suis pas curieux de nature et pourtant j’étais intrigué. Je m’habillai en vitesse, pris le paquet de cigarettes à moitié vide sur la table de nuit et descendis rapidement l’escalier – j’habite au premier étage.
D’abord je ne le vis pas et crus l’avoir perdu pour de bon. Je connais pourtant bien Spaccanapoli, cette faille du nord au sud dans ma ville tant de fois tremblée et vivante, et particulièement la via Biagio dei Librai. J’y ai pour ainsi dire toujours vécu. Mais j’avais perdu l’étranger et l’étais vexé. Enfin, je l’aperçus, à genoux au bas d’un mur en train de coller un grand morceau de papier blanc. Je n’osais approcher, l’observant en silence dans l’obscurité, de l’autre côté de la rue. Il avait du métier. En quelques secondes, il avait encollé le papier et l’avais étalé sur le mur. L’image était sombre, je n’y voyais rien. Puis l’homme s’éloigna et se perdit dans une des petites rues avoisinantes, en route vers d’autres murs.
J’étais partagé. J’aurais voulu le suivre, mais qu’aurait-il pensé ? Je m’approchai. Je ressentis l’image comme un coup de poing – j’en reconnus immédiatement le trait. Elle représentait une vieille femme assise sur un fond sombre, la tête appuyé sur son bras gauche posé sur des sortes de linges pliés. Cette femme à l’ai las, je la connaissais bien, c’était Antonietta, à qui j’avais acheté mes cigarettes de contrebande pendant plus de trente ans. Le fond noir représentait le porche où elle s’était tenue pendant toutes ces années. Antonietta était morte depuis six mois déjà et voilà qu’elle réapparaissait devant mes yeux, qui s’embuaient tout d’un coup. C’est alors que je me souvins. De l’autre dessin, de La Mort de la Vierge, inspiré du Caravage et collé sur ce même mur lépreux plusieurs mois auparavant, à moins de deux mètres du porche d’Antonietta, qui semblait veiller la Vierge séparée d’elle par un mur comme dans une pièce à côté. Oui, j’ai vu ces deux images, la fausse et la vraie, à moins que la fausse ne fût la vraie. Et maintenant c’était à moi qu’incombait de veiller sur Antonietta.
Christiane Tricoit