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9. Inintitulés IV - L’Og

samedi 3 septembre 2016

9.  Passage d’encres - 3e trimestre 2016 - ISSN : 2496-106X

ININTITULÉS

IV

Des sages poussent comme des champignons sous les arbres.
Est-ce à dire qu’il y a une relation saprophyte entre l’arbre et l’homme, ou une relation de symbiose au même titre qu’entre l’arbre et le champignon ?
Il n’en faut pas douter. Beaucoup de religions sont là pour prouver que la sagesse se trouve sous un arbre, figuier banian, baobab, chêne ou saule. Enfin, dans les religions humides… Chez les religions sèches, c’est surtout l’ombre qui est recherchée.
Le sage est le champignon de l’âme. Le fruit mou et spongieux plein de spores prêtes à se disperser. Voilà le sage, parfois plus amanite phalloïde que cèpe, psilocybe que coulemelle.
Et faut-il croire que chaque type d’arbre donnera son sage spécifique, avec des caractéristiques propres ?
Il est clair qu’un figuier ne donnera pas le même sage qu’un baobab. Et, entre figuiers, les sages doivent faire la différence, aussi spécialisés que les espèces endémiques des Galapagos par rapport à l’espèce souche : Ficus religiosa ou Ficus elastica, la différence est dans l’élasticité, le caoutchouteux étant le second.
Oui, il faut se livrer à une véritable mycologie de la sagesse, au même titre que les disciplines théologiques et herméneutiques, une véritable science sur le sage en tant que champignon ; et pas une mystique ou une hagiographie où les hormones de la moraline sont en folie, somme toute quelque chose de peu vérifiable.
Le sage est plutôt un alcaloïde.
Si chaque arbre doit donner son sage, on lui donnera, on lui fera produire.
Ainsi le sage du palétuvier, le sage du bonsaï, le sage du séquoia. Et s’ils avaient racine commune…
Cela prouverait peut être bien des choses sur la réalité du monde.
Mais à quoi reconnaît-on un sage d’un champignon ? Eh bien, c’est simple : l’un des deux est meilleur en omelette que l’autre.

*

Il a voulu vivre au milieu des éléphants, être éléphant lui-même. Il a arrondi son esprit au milieu des autres éléphants, esprit éléphant avec les autres esprits éléphants, troupeau d’esprits éléphants.
Certes, les premiers temps furent difficiles : sa décision d’éléphant venant de l’homme et un homme ça se retrouve facilement sous les pattes d’un éléphant, bien plat, sous une bouse d’éléphant, bien fumant.
Mais, peu à peu, les gros cerveaux d’éléphants, leurs gros cerveaux qui rendent plus facile le difficile de la vie d’éléphant, à force d’ondes rebondissantes de moins en moins dans son cerveau d’homme, l’imbibant comme un thé, rendirent la vie plus aisée, c’est-à-dire éléphante.
Et bientôt les joies éléphantes furent siennes. Et aussi les tristesses éléphantes. Et aussi les éléphantes. Oh ! désir…
Leurs aspersions de poussières, leurs bains de boue, parmi les autres éléphants, déboulant avec entrain et je fais ce que je veux dans les villages où les villageois ne faisaient rien contre le destin.
Et un jour il fut mangé par un tigre.
Un tigre. C’est-à-dire un homme qui a voulu vivre au milieu des tigres, être tigre lui-même.
Si bien tigre qu’il n’a pas fait de différence avec cet homme si bien éléphant.

*

Il mange sa mère. Il mange sa mère avant qu’elle ne mange son père. Il mange sa mère avant qu’elle ne mange son père avant qu’elle ne mange sa sœur, avant qu’elle ne le mange lui, avant qu’il n’ait mangé sa mère.
Il a mangé sa mère. S’il ne l’avait fait qui l’aurait mangé ? Sa sœur, c’est-à-dire sa tante à lui ? Impossible, c’est son oncle qui l’a mangée ; sa tante, c’est-à-dire son beau-frère qui a mangé sa belle-sœur, c’est-à-dire sa mère à lui.
Il a mangé sa mère ! Mais avant qu’elle ne soit mangée par sa sœur… Avant que sa sœur même ne soit mangée par son fils, qui n’est pas lui, mais tout simplement peut-être son cousin. Et être mangé par un cousin, quelle horreur !
Et puis il a mangé sa mère comme elle a mangé son premier fils, c’est-à-dire son frère, et ça un frère c’est sacré, c’est comme si on mangeait dieu, et qui a mangé dieu, ça il va en péter de l’âme parce que dieu c’est féculent, et un dieu maigre il ne saurait y avoir.
Autant se manger soi-même.
D’ailleurs, lui…
C’est-à-dire celui qui a mangé sa mère…
Avant qu’il ne soit mangé par son grand-père qui avait sauté son tour…
De lui, de s’être mangé, il ne reste qu’un orteil (il ne faut jamais manger ses deux orteils parce que ce n’est pas bon pour la transmigration).
On le donne au chien.
Car un chien c’est un peu comme un fils. Un fils adoptif.
Lui, donc.

*

Les assassins de parents : elle assassine son père, qui a assassiné sa mère, pas sa grand-mère, sa mère à elle. Son fils à elle, pas le petit-fils, l’assassine à son tour pour venger son père, pas le père de sa mère qui a été tué (et pas tuée) par son grand-père. Son frère pour se venger le tue, qui est tué par sa sœur qui est tuée par sa fille, qui n’est plus mais qui est-elle ?
L’oncle qui n’est plus que le seul à pouvoir assassiner sa nièce l’assassine donc. Sa tante qui n’est pas celle de l’oncle mais sa femme à lui décide de l’assassiner, pas la tante de l’oncle, mais l’oncle de tante.
Son neveu se venge, plus par volonté d’assassinat que pour autre chose, sa sœur s’en mêle à son tour, par pur assassinat.
Sa mère est outrée. Ah ! Ah ! Elle est morte. C’est donc son père. Ah ? Non ? Mais qui est-ce donc ? Ah ! Oui ! Le cousin germain. Bref, il assassine, à coups de parents.
Tromperie ! dit la grand-tante et elle assassine des deux côtés : l’oncle trompeur et l’émissaire neveu trompé.
Elle est donc tuée deux fois par deux autres parents différents : elle est fleuve au confluent de deux assassineurs qui s’embranchent.
À ce rythme-là, il ne restera bientôt plus personne.
Et effectivement…
Le chroniqueur est assassiné par un voisin.
Même pas de la famille, donc.
C’est dire. C’est son fantôme pas encore assassiné qui parle.

(À suivre.)

L’Og