Accueil > Passage d’encres III, revue en ligne > 13. Les Siphonophorides I - L’Og

13. Les Siphonophorides I - L’Og

mercredi 18 janvier 2017

13. Passage d’encres III - Janvier 2017 - issn 2496-106X.

LES SIPHONOPHORIDES

I

La Terre océane

On appelle invertébré ce qui n’a pas la corde de l’os pour tenir dans cette grande flaccidité de l’existence. Où s’arrête le comment ? Et où commence le pourquoi ? C’est ainsi qu’une vie en flaque plus ou moins molle dans la grande compote du temps exhibe à n’en plus finir les formes les plus aptes au rouleau à pâtisserie. Mais ce genre d’être n’a pas à faire gâteau. Pourquoi faudrait-il leur imposer ? Ce serait une indignité.
Il faut appeler vertébré ce qui ne participe pas de la grande coulure de l’atome. Mais qui comprend la chair en escalier, en espalier, tout ce qui grimpe, tout ce qui monte, tout ce qui peut se démonter en petites concaténations de calcium. C’est une étrange identité que celle de l’os mou. À ne pas recommander pour une vie en pâtissier. C’est que ce maniement de l’arme à pâte exige une concentration qui peut se permettre une rêverie en poulpe, en calmar, en méduse ou en nudibranche.
Oui, on peut y rêver : cela inspire la forme sous le rouleau.

… C’est une vie bien particulière tout de même que celle de son oscillation du jour à la nuit, de l’océan à la terre dans la houle de soi.

Sape dans les tibias !

Qui rêverait d’avoir la face emboutie par le temps ? Qui rêverait d’avoir des doubles, des triples, des quadruples mentons à partir du front même ? Des mentons qui dégoulineraient en enfilade de cascades jusqu’au menton, lui-même engoncé dans un cou qui n’est qu’un corps ou un corps qui n’est qu’un cou ?
Qui rêverait d’être ainsi dans une existence boudinée ?
Le dugong ou le lamantin ne le rêve pas.
Il le vit comme une lente disparition de la surface, une disgrâce qui le rend triste jusqu’à qui le regarde pour le rendre plus triste encore. Tout cela se termine en nageoire. Heureusement. Car qui terrestre supporterait en plus de vivre ainsi ? C’est que l’eau drape, enveloppe, c’est une grâce qui se rend : c’est la dignité du lamantin, c’est ce qui le voue encore à être un peu : cela entonne et c’est l’entonnoir de sa divine désolation : c’est son groin qui chante, c’est sa gorge qui est le passage de sa palme qui le propulse dans l’onde en dernier signe du temps.
Amen.

Le Carapateur

Arbitrant les lentes dérivations des continents, le calmar géant en nautonier d’un charon inconnu sillonne ces fonds écrasés de tant d’eau. Il manque de fables pour cette incroyable créature hantant ces solitudes hauturières qu’il parcourt de sa présence sémaphorique comme pour dire « je suis là, je suis passé », signe à lui-même vivant dans une signature liquide.
Fable… Vraiment pour quoi faire ? Contraindre le calmar à une morale ? Qui dirait… Oh ! Fatigue, cela ne sert à rien de dire. Une fable ? Pour représenter l’homme dans le grand théâtre de son absurde ?
C’est trop facile… Le calmar… Cette conscience… Cette plongée… Tout ça pour rien… Et puis le calmar se reproduit aussi, même géant, ou alors faudrait-il croire qu’il soit encore plus lié à lui-même par parthénogenèse ? Lui-même en lui-même ? C’est comme ça qu’il faudrait croire ? Étrange identité du néant de l’homme… dont le sens d’écume s’en va aux grandes marées d’équinoxe, grand appel lunaire de la désertion de sa peau pour être nu et retroussé… Est-ce donc cela qui importe ?
Oubliez-vous le léviathan du calmar géant qu’il se coltine ?
Nul repos, non, nul repos pour qui vit en temps presse à froid, exsudant son huile vierge.
Oh ! Insomnie de soi.

L’Og

(À suivre.)