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SÉVERINE CORNAMUSAZ : Cœur animal

mercredi 25 janvier 2017

SÉVERINE CORNAMUSAZ : Cœur animal1

Nous sommes en Suisse, très haut dans les montagnes dont la caméra de Séverine Cornamusaz a caressé les hauteurs, murailles de granit, sauvages et escarpées, puis s’est posée sur le lieu de l’action : une ferme totalement isolée, sise sur un tapis d’herbes balayées par les vents, tel un ring où vont s’affronter un trio d’identités en souffrance, s’exprimant chacun dans son propre langage.

Il y a Paul2 qui ne parle qu’en onomatopées, grognements, grondements. S’il prononce des mots ils sont souvent imperceptibles, indiscernables. Qu’a-t-il pu bien se passer pour que cet homme n’ait plus de parole à offrir ? Des sons et non le verbe. Mais a-t-on besoin de parler quand on trime de facon inhumaine dans une ferme isolée, au mileu de montagnes hostiles ? Aux animaux il sait cependant dispenser soins et caresses, des baisers même, parfois, et des murmures dans le creux des oreilles. Pour Rosine, sa femme, à ses côtés3, nenni. La voit-il seulement ? Le héros de Cœur animal serait-il un de de ces enfants abîmés qui ne sait plus ce qu’humain veut dire ? Un enfant emmuré en lui-même, portant une tragédie subie ? Une victime plus qu’un bourreau4 ? C’est très dur à regarder cette non-communication entre ces deux êtres, cette brutalité dont Paul fait preuve continuellement à l’égard de sa femme. N’est-il que cet être de pulsions, qu’un seul épiderme dont le cœur serait clos ?
Rosine est un être de silence également, emmurée dans son propre langage. Soumise, elle n’en a pas moins un cœur qui sait aimer et dont elle exprime les désirs à travers ses seuls regards, et ses mains tendues. Paul ne les voit pas. Il a ces mots très durs, pour lui « les femmes ne sont qu’embrouilles et poisse ».

Atterrit dans ce huis-clos infernal un ouvrier, saisonnier espagnol5, sorte d’effraction lumineuse dans tout ce noir. Or lui n’a pas le droit à la parole. Une paillasse à l’étable et des ordres éructés. Il n’en reste pas moins un témoin, muet mais un témoin compatissant, une sorte de veilleuse.

Le drame arrive, la femme est battue, évacuée par hélicoptère et qui ne veut pas revenir. Il faudra tout le reste du film pour que Paul apprenne ce qu’aimer veut dire et surtout qu’est-ce que c’est une femme.
Marc Hollogne dans sa dernière création6 donne la part belle à la femme : « Elle offre, elle ouvre, elle donne la lumière. L’homme doit se nettoyer pour l’approcher. »

La femme à la fin de ce film fort, pardonnera. Paul, aidé par l’ouvrier espagnol a su faire ce travail de nettoyage.

La réalisatrice, pour son film, a adapté un roman de Noëlle Revaz, Rapport aux bêtes7, dont elle a gardé l’histoire simple, véritable coup de poing violent et réaliste.

Sylvie Reymond-Lépine
Magadino 22-23 janvier 2017

1. Premier long métrage en couleurs réalisé en 2009.
2. Interprété par Olivier Rabourdin. Quartz du meilleur acteur.
3. Interprétée par Camille Japy.
4. « Enfants placés : les enfants de la honte », reportage de Géraldine Genetti et Andrea Santereau. Diffusé sur RTS Deux, en 2015.
La Suisse en effet saigne d’une très grande blessure qui a du mal à se refermer, même si Mme Simmoneta Summaruga a demandé publiquement pardon en 2013, alors qu’elle était ministre de la Justice, à tous ces enfants qui ont été honteusement placés après avoir été retirés à leurs familles jugées trop pauvres pour les élever.
5. Interprété par Antonio Buil Puejo.
6. Marciel et le bonheur oblique de la conférence intérieure.
7. Gallimard, Collection blanche, Paris, 2002.