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14. Les Siphonophorides II - L’Og
dimanche 12 février 2017
14. Passage d’encres III - Février 2017 - issn 2496-106X.
LES SIPHONOPHORIDES
II
Le Caméléon du temps
On parlera beaucoup des structures élémentaires de l’univers pour l’éponge. C’est le vide en sac, c’est la vie en sac. Et ça c’est seulement quand elle est bien compliquée ; plus simple il n’y a presque pas un dedans et un dehors et c’est tout, seule la cellule est parvenue à mieux résumer cette existence.
L’éponge est là dans l’eau, ignorée des pensées de Pascal, qui ne lui a pas accordé un fragment dans son ouvrage infini alors qu’il parle deux fois de l’éternuement. Il y a des signes pour ceux qui savent voir. Enfin, on ne peut pas lui en vouloir, l’éponge n’est pas janséniste ; pourtant ô combien elle pourrait l’être comme tous les spongiaires.
Mais elle ne s’y est pas attardée : elle a sa grâce.
Alors l’éponge est là à filtrer en elle les particules qui flottent comme l’espace filtre les étoiles sans autre preuve d’existence que cette touchante faculté d’être par le moins de moyens nécessaires, nonchalante à tout, même au poisson brouteur. Ce n’est pas elle qui dirait : « pourquoi me tuez- vous ? ».
Elle s’indiffère, elle pompe, peut-on vraiment croire avec acharnement ? Non, c’est comme ça ; c’est tout. C’est une infiniment sans coquille et tout en volants et voilettes diverses au courant, comme danseuse au tutu ébouriffé par trop de danse échevelée ou un amant passager, trop vite passager, trop, trop vite, oh ! Danseuse qui pleure, qui sera l’éponge pour filtrer tes larmes, te rendre à la pureté de l’absence de tristesse ?
C’est à tout qu’il faudrait penser – du moins sur la matière de l’éponge. Ce tutu souple ballotant de transe en transe son envoûtement de tulle qui surprendrait à la moindre caresse : c’est de la pierre rugueuse ! Comment ? Ces tissus crus si doux rendraient borgne – et aveugle si on insistait car on ne voudrait vraiment pas y croire – qui s’y frotterait l’œil ?!
Cela ressemble à du drap mais c’est du calcaire ou de la silice, écorchant, coupant, arrachant, torturant, désemparant le lisse et ne laissant que lambeaux… Quelle folie alors ne gagnerait pas qui rejoindrait son lit dans la peur qu’il se ne mette lui aussi à tromper et à sourdre sa matière qui ferait rose des sables de ses draps et peu à peu l’incarcérerait ? Qui croirait alors que ce n’est pas le lit qui sécrète l’homme ? La science est si faible.
Oui, de l’homme ou du lit, qui a le véritable squelette en ouate ?
Faudrait-il vraiment alors devenir éponge officinale pour répondre et rectifier l’erreur ?
*
L’Infini à trous
Dans les fonds sous-marins d’étranges phénomènes se préparent, de grandes et multiples érections pélagiques de toutes sortes, depuis les holothuries, paisibles concombres de mer qui se prélassent mollement et qui soudain se dressent à la verticale en quantité, émergent des algues, émergent des trous, émergent des sables, et elles sont des dizaines et elles sont des centaines et elles sont des milliers qui éjaculent des petits nuages blancs pendant des heures et des heures.
Les femelles préfèrent pondre des petits nuages rouges.
Jusqu’aux coraux et autres madréporaires qui ne sont pas en reste et tous, dans la grande frénésie d’enthousiasme de l’Appel, de lâcher leurs futurs petits sexes qui encombreront l’espace mouillé en de folles torsades, de tendres vibrions, de féroces serpentins joueurs, en confettis d’ovules où feu d’artifice et carnaval sont mêmes fusées et masques.
Ce ne sont que sexes de tous sexes tendus en attente de leurs frémissements libérateurs, de leurs ondes, tout seuls sachant qu’il est grand temps d’envoyer se rencontrer tous leurs petits seuls en frisottis ou bulles. Et dans le grand ressassement aquatique tout se brasse, tout se mêle et tout se mêle de tout dans la grande coulure de tous, dans une jubilation intense où tout est possible et tout le sera. Pour que plus tard, plus tard recommence encore.
Ce sont d’immenses éjaculations de bénitiers, des éjaculations en geysers qui dans l’eau sourdent comme la fumée aux grandes cheminées d’usine…
De grandes nages de sperme aux milliards de frétillants s’en vont chercher leurs lunes ovulaires dans les immenses étendues du Grand Salé.
Leurs lunes qui les attendent comme d’impassibles calvaires ronds.
L’Og
(À suivre.)