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15. Les Siphonophorides III - L’Og
lundi 13 mars 2017
15. Passage d’encres III - Mars 2017 - issn 2496-106X.
LES SIPHONOPHORIDES
III
Comme fantômes au soleil
À mi-chemin entre la raie manta et le trois-mâts, un être tout de voiles, parcourant l’océan, trop timide pour la science des hommes, encore inconnu des dictionnaires et des encyclopédies, il vit.
Lorsqu’il dort cela ressemble beaucoup à un drap mouillé oublié sur la peau des vagues, comme une autre peau, et, si des yeux de marin tombent là-dessus, sans pouvoir s’expliquer pourquoi, une onde de mélancolie s’étend doucement dans son cerveau d’abandon aux ondes et il se met à penser différemment à la peau de son lit, sa peau, la peau de sa femme, de n’importe quelle peau du monde pourvu que l’intérieur de la solitude ne soit plus nu.
Puis il se réveille, se reprend, l’océan est encore lui-même.
Et le marin s’en va vers son port sur sa peau de bateau.
Le drap mouillé – faute de savoir et de description – se réveille à son tour, se reprend et déploie ses voilures, hollandais volant organique et pensant, il accompagne les brouillards propices prometteurs d’autres voilures emmitouflées autour d’ovaires dans lesquels le savoir a ses nombreux secrets.
Alors, le monde se reprend aussi et se réveille.
*
5 milliards d’années trop jeunes
Dans la gnose des océans des prophètes marins dérivent plus que ne sillonnent, océanographes en saints fantômes, distillant leurs sels d’absences dans la marée de leur corps sous l’influence de la gravité des géantes gazeuses du cosmos proche plus subtiles que celle de la Lune.
Un passage de Jupiter et leur sang s’amorce, un passage de Saturne et les fondamentales essences de leurs globules se libèrent, un double passage de Neptune et d’Uranus et sous l’ultime injonction de cette conjonction lointaine les sels excrétés et enrichis de toxines intenses se rassemblent dans les vésicules et besaces d’âmes, prêts à être moissonnés par les prieurs épars qui vivent et viennent en radeaux de courants plutôt qu’en précision de voiles, d’étoiles et de gouvernails.
Sous les sargasses et la nudité de surface les grands corps de manteaux d’émotions refluent, drossés de vestiges, membranes d’ouate et de neurones à l’épaisseur de matelas conducteur, parés à la rencontre et à l’échange à l’unisson des affleurements : une noyade pour un sac de sel intime, un sacrifice pour les abysses et pour une délivrance de marée sublime. Le noyé est bon pour ce qu’ils ont.
Aussi les prophètes sont grêlés de bernacles saprophytes qui les ravagent et les égarent, altérant leurs fluidités océaniques, les ralentissant et les drainant, les déroutant et les tarissant.
Alors, d’un raclement les prieurs font leur manne. La soucoupe de la coquille renversée est bonne pour le manque et la prière. Sa chair est bonne pour l’estomac et guérit, sinon soigne, parfois, de l’existence du monde – ou du moins, du mal de terre.
Chaque groupe s’en repart, délesté de son plus précieux qui les accable trop et les ancre. Les prophètes perdant leurs poisons intérieurs et l’extérieur parasite qui les alourdissaient jusque-là. Et gagnent un corps. Les prieurs gagnant le condiment de l’âme nécessaire ainsi qu’une cargaison de digestion. Et perdent une bouche de fils ou une bouche de père.
Deux dérives pour un échange, deux dérives pour une absence.
Ballasté de l’échange l’équilibre se fait mieux.
Dans l’apaisement des démangeaisons les prophètes sans parole se rendent à leur ancienne liberté d’égarement nonchalant où les impalpables regorgent, tandis que les prieurs de radeau à la langue muette se livrent aux sels nouveaux pour des connaissances furtives qui savent assouvir l’éternité et rendre nu de l’Univers.
Quelques ondes s’exaucent.
L’Og