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15. Guillaume Decourt, 9 h 50 à l’Hôtel-Dieu - par Patrick Le Divenah
lundi 13 mars 2017, par
15. Passage d’encres III - Mars 2017 - issn 2496-106X.
Guillaume Decourt. 9 h 50 à l’Hôtel-Dieu. Guern, Passage d’encres, coll. Trait court, 2016 - 9782358551250 - 28 p. - 5 €.
par Patrick Le Divenah
Et si l’on commençait par la fin ?
Je dis que je suis lâche inconséquent
Peut-être a-t-il hésité à poursuivre : pourtant c’est ainsi je n’y peux rien.
C’est ce que j’ai lu en tout cas, dans cet ultime des XXXV dizains du recueil, à la lumière de ceux qui le précèdent.
Guillaume Decourt cherche, se cherche, manque moins de désirs, d’envies, de goûts que de certitudes. Mais faut-il en avoir, si nombreux sont ceux qui en débordent ? Même en amour, difficile de choisir entre l’exil vers le soleil grec et l’ancrage au sol natal, où le retient une Juive issue du Brésil, même si la légitime, c’est l’autre. D’autres avant lui ont célébré les charmes des amours ancillaires ; Guillaume, le « pauvre Guillaume », évoque seulement la bouche qui
Avait des rebonds ancillaires […]
C’est ce dizain VI qui a ma prédilection. D’abord pour cette magnifique métaphore, qui se détache d’autant plus que l’auteur n’en est pas prolixe et c’est précisément ce qui, avec une maîtrise très personnelle du rythme et de la musicalité (il est pianiste), fait tout le talent de ce recueil. Au fait, recueil ou récit ? Les deux, mon lecteur, les deux ! Au gré des strophes titrées comme de micro-chapitres, nous découvrons l’histoire, la complainte d’un jeune homme de vingt puis bientôt trente ans dont la désinvolture flirte avec le dandysme mais pas avec la superficialité, tout comme avec « la Juive » à laquelle il s’abreuve lorsque son amour conjugal a rejoint l’Attique, tandis qu’ailleurs, du corps des putains malgaches à la peau noire nous provient un parfum exotique un rien baudelairien.
Oui, Guillaume tente de jouir de la vie, du monde sur lequel il promène son regard et qu’il parcourt au gré des déménagements familiaux, sur les femmes, sur lui-même, tout cela avec grande élégance, un peu de distance souriante, ironique, de la pudeur qui, soudain, peut s’offrir un écart. Tout cela se fait en mots simples, mais parfois rares : il y a jouissance, plus que coquetterie (quoique) à faire surgir ces mots, tels le « bombille » aux échos rimbaldiens ou cette « auloffée » d’un amoureux-marin qui n’a pas su envisager les ravages définitifs d’un brutal changement de cap ; ou encore jouissance du clin d’œil poétique, lorsque la chariennne éternité d’une olive l’aide à évoquer son amour grec. Pourtant, le tragique se profile et le soleil se noircit, sur place à Athènes lorsque le bébé attendu est mort-né, et à distance, au Brésil, où la Juive, partie sans crier gare, attend peut-être elle aussi un bébé dont elle semble renier le père.
Mais revenons à notre fameux dizain VI, afin d’en terminer, car il est riche de sens. Après l‘évocation des rebonds ancillaires, suit ceci :
[...] belle
N’était pas le mot car on ne s’abouche
Pas avec la beauté
(pourquoi Baudelaire me trotte-t-il encore en mémoire, malgré moi ? parce qu’il a goûté aux îles lointaines et à la mulâtresse ?)
Cet aphorisme, dans sa simplicité, dit vrai, dit juste. Et, pour persister et signer encore, poursuivons la lecture
[...] c’était pourtant
Le mot juste pour dire simplement
Voilà . Vous avez tout compris. Si par endroits, dans le recueil, quelques métaphores brillent, c’est avant tout la simplicité du mot juste, du ton juste, qui fait la réussite du poème. Nous n’assistons pas à une symphonie, nous recueillons une sonate discrète (mais qui s’offre des syncopes rythmiques par ses enjambements inattendus, plaisants). Oui, le plus grand art est sans doute celui qui se contente d’« énoncer » le monde.
Et, puisque nous avons commencé par la fin, terminons par le début. Car jusqu’au bout nous avons attendu un écho à ce titre insolite, qui sonne comme l’horloge d’un polar, à moins qu’il ne s’agisse d’un simple rendez-vous amoureux ou, pourquoi pas, l’heure et le lieu où il a commencé cette écriture. À l’inverse des titres informatifs, des titres titrants, Guillaume nous intrigue : moment de vie, début de quelque chose, avec qui, quand, pourquoi ? pas plus défini que son auteur, tout ça, sans doute parce que nous avons à lire un moment de vie, une parenthèse, et qu’il n’était pas besoin de l’encadrer dans un titre clos sur lui-même. D’ailleurs, les questions que nous sommes amenés à nous poser ne sont-elles pas plus importantes que les réponses ?
Merci au « pauvre Guillaume », merci pour cette belle histoire.